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Droit des sûretés versus droit des procédures collectives : descente aux enfers du nantissement de compte bancaire

Mis à jour le : 20 juillet 2020

A propos d’un arrêt du 22 janvier 2020 de la chambre commerciale.

La chambre commerciale a rendu, le 22 janvier 2020, un important arrêt (n°18-21647) – logiquement publié au Bulletin – relatif à la résistance d’un nantissement de solde de compte bancaire en cas de procédure de redressement du débiteur constituant.

Il n’est pas d’usage qu’un arrêt rendu en matière de référé jouisse d’un tel retentissement (voir Ch. Gijsbers, RTD Civ. 2020, p 164). Toutefois, cela s’explique ici tout à la fois par l’intérêt des faits de l’espèce, la généralité de l’attendu de principe posé par la Cour de cassation et la pérennité de la solution retenue.

L’intérêt des faits de l’espèce d’abord.

Voici une caisse de crédit mutuel qui a prêté à une SAS en se garantissant par un nantissement des comptes bancaires détenus par l’emprunteur auprès de la caisse. Or, ce nantissement comportait une stipulation aux termes de laquelle le prêteur pouvait « se prévaloir du nantissement en cas d’ouverture d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire, de liquidation judiciaire ou d’une procédure de traitement des situations de surendettement des particuliers et sera donc en droit d’isoler sur un compte spécial bloqué à son profit sur les soldes créditeurs des comptes nantis existant à la date du jugement déclaratif d’ouverture de la procédure collective ».

Au cas présent, l’administrateur judiciaire demanda à la caisse de virer au profit d’une banque « judiciaire » tierce les sommes figurant sur les comptes bancaires de la société emprunteuse. Ce à quoi le créancier nanti opposa le fait qu’il avait isolé en application du nantissement un peu plus d’un million d’euros au crédit d’un sous-compte « fonds bloqués ».

À la demande de la société débitrice, une décision rendue en référé et confirmée en appel ordonna que la caisse libère les sommes ainsi bloquées et les vire sur le compte ouvert auprès de la banque judiciaire. Partant, c’était un trouble manifestement illicite au sens de l’article 873 alinéa 1er du Code de procédure civile que la banque prétende exercer un droit de rétention sur le solde du compte bancaire nanti alors que sa créance n’était pas même exigible, en l’absence de tout échéance impayée ou de déchéance du terme. Quant au dommage imminent, il n’était autre qu’une liquidation judiciaire inévitable si la société ne pouvait fonctionner sans fonds disponibles. C’est   le   pourvoi contre cette décision qui se trouve rejeté par la chambre commerciale.

La généralité de l’attendu de principe ensuite.

Dans son arrêt de rejet, la chambre commerciale énonce avec fermeté et sans trembler que « les règles relatives aux procédures collectives sont d’ordre public, que selon l’article 2287 du code civil, les dispositions relatives aux sûretés ne font pas obstacle à l’application des règles prévues en matière d’ouverture d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ». Elle en déduit l’inefficacité totale du nantissement de solde bancaire en cours de fonctionnement, à tout le moins lorsque le créancier nanti ne peut opposer une créance exigible mais qu’il prétend, comme au cas présent, séquestrer les fonds nantis dans l’attente de cette exigibilité pour les faire échapper à la discipline collective : « l’article 2360 du même code concerne l’assiette de la garantie que pourra faire valoir le créancier dans le cadre de sa déclaration de créance, l’arrêt retient que la clause litigieuse, qui permet à l’organisme prêteur de “séquestrer” les fonds figurant sur les comptes de l’emprunteur, aboutit à l’autoriser, alors même qu’il n’existe encore aucune mensualité impayée ni même aucune créance exigible en raison du différé prévu pour les remboursements, à prélever sur les comptes une partie du capital prêté par voie de compensation et opère comme une résiliation unilatérale du contrat de prêt en contrariété avec les dispositions de l’article L. 622-13 du code de commerce ; que la cour d’appel en a exactement déduit que le blocage opéré par la Caisse aboutissait à vider de son sens “le potentiel” de la procédure de redressement judiciaire et qu’était justifiée l’intervention du juge des référés afin de prendre les mesures propres à faire cesser un trouble manifestement illicite et à prévenir un dommage imminent, ce dommage imminent n’étant autre que la liquidation judiciaire à venir en cas d’impossibilité pour l’entreprise de fonctionner faute de fonds disponibles ».

Le mot est lâché par la cour suprême : c’est le «potentiel» de la procédure de redressement qui justifie une neutralisation curieuse de l’article 2360 alinéa 2 du Code civil pourtant contraire à l’intention des membres de la Commission Grimaldi (dont les travaux avaient été repris sur ce point par l’ordonnance du 23 mars 2006). Ce dernier texte n’énonce-t-il pas que « au cas d’ouverture d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire, de liquidation judiciaire ou d’une procédure de traitement des situations de surendettement des particuliers contre le constituant, les droits du créancier nanti portent sur le solde du compte à la date du jugement d’ouverture » ? Or, inspirateur de cette   disposition, notre collègue Hervé Synvet avait pourtant soutenu de façon très convaincante que « la créance représentée par le solde créditeur du compte au jour du jugement d’ouverture est en quelque sorte « gelée » au profit du créancier nanti », lequel dispose d’un « monopole en mettant le compte à l’abri des convoitises concurrentes » (H. Synvet, « Le nantissement de compte », Dr. et patr., juill. 2007, p 62 et s.). L’analyse semblait d’autant plus convaincante que le nantissement porte, suivant le législateur (article 2360 alinéa 1er) et l’intention commune des parties, sur le compte lui-même, même si la cristallisation de son assiette implique que la créance nantie « s’entende » du solde créditeur au jour de la réalisation de la sûreté.

Quant à l’analyse contraire retenue par la Cour de cassation consistant à voir dans l’opération litigieuse une résiliation unilatérale du prêt contraire à L. 622-13 du Code de commerce et un paiement d’une créance antérieure contraire à L. 622-7, elle était démentie ici par l’économie de l’opération : le prêt garanti n’avait en effet subi aucune déchéance du terme tandis que les sommes litigieuses n’avaient été que séquestrées (tentative de rétention) par un créancier nanti prudent et nullement attribuées à la caisse.

Il reste que la raison du plus fort est toujours la meilleure : au-delà du seul nantissement de compte qui poursuit ici une descente aux enfers amorcée par un précédent arrêt (Cass. com., 7 novembre 2018, n°16-25.860), c’est le droit des sûretés qui se trouve virtuellement assujetti à des procédures collectives dont le « potentiel » de sauvetage semble devoir l’emporter sur toute autre considération technique… L’atteinte qui en résulte à l’efficacité du nantissement de compte bancaire est d’autant plus grande que l’entreprise en question a fait ultérieurement l’objet d’une liquidation judiciaire clôturée le 17 juin 2020 pour insuffisance d’actif !

La pérennité de la solution retenue enfin.

L’article 60 de la loi Pacte du 22 mai 2019 a habilité le gouvernement, pendant une durée de deux ans, à prendre par voie d’ordonnance les mesures nécessaires pour « simplifier, clarifier et moderniser les règles relatives aux sûretés et aux créanciers titulaires de sûretés dans le livre VI du code de commerce ». Il reviendra donc en dernier ressort au législateur de pérenniser ou non la solution retenue, au titre de sa mission de parfaire l’articulation du droit des sûretés avec le droit des procédures d’insolvabilité ! La tâche est ardue car elle renvoie à la difficile recherche du juste équilibre entre protection du créancier et « potentiel » de sauvetage de l’entreprise. À cet égard, la proposition formulée dans l’avant-projet de l’Association Henri Capitant en juin 2017 d’affirmer plus fermement encore le droit exclusif du créancier nanti sur créance ne manquera pas de susciter l’intérêt…

Par Philippe Dupichot, Agrégé des Facultés de Droit, Professeur à l’École de Droit de la Sorbonne (Université Paris 1)