Recherche
top background image

Billets

Projet de code européen des affaires

Mis à jour le : 20 décembre 2020

UN AVANT-PROJET DE DROIT DE L’INSOLVABILITÉ À DÉCOUVRIR

 » La mise en place d’un droit harmonisé de l’insolvabilité dans l’Union européenne constitue un enjeu majeur pour le bon fonctionnement du marché intérieur mais aussi un défi d’ampleur en raison notamment des différences qui existent entre les régimes applicables dans les États de l’Union. À cela, il faut ajouter les nombreuses articulations du droit de l’insolvabilité avec les droits des sûretés, des sociétés, le droit social etc. qui ne sont pas harmonisés, sans compter des approches parfois très différentes, plus ou moins favorables aux créanciers ou au débiteur « 

C’est dans ce contexte qu’un groupe d’experts (Philippe Roussel Galle, Professeur à l’Université de Paris, Urs Peter Gruber, Professeur à l’Université Johannes Gutenberg de Mayence, Jean-Luc Vallens, magistrat honoraire, ancien professeur associé à l’Université de Strasbourg, expert auprès de la Commission européenne avec la collaboration de Françoise Pérochon, professeure à la Faculté de droit de Montpellier) a élaboré, à l’initiative de l’Association Henri Capitant et en consultant praticiens et collègues étrangers, un avant-projet de texte qui pourrait utilement, sinon être repris par les législateurs des États membres, du moins constituer un guide pour œuvrer au rapprochement des droits européens. L’avant-projet propose des normes générales mais aussi des options, laissant aux législateurs des États membres, une grande latitude pour les adopter et les mettre en œuvre.

L’élaboration de cet avant-projet s’est trouvée facilitée par l’existence du Règlement (UE) n°2015/848 du 20 mai 2015 relatif aux procédures d’insolvabilité et de la Directive européenne n° 2019/1023 du 20 juin 2019. Le premier a permis de proposer l’adoption de règles communes notamment sur la compétence ou encore sur l’information des créanciers. La seconde a conduit les auteurs de cet avant-projet à proposer la mise en place de classes de créanciers, en s’inspirant du droit allemand qui connaît déjà ce dispositif, et de procédures préventives, cette fois inspirées du droit français.

Au total, il est donc proposé d’instituer quatre procédures :

Une procédure de prévention amiable, de nature contractuelle, qui est volontaire et confidentielle à l’instar de la conciliation en droit français. Elle a vocation à aboutir à un accord ou à un plan voté par les créanciers si cela s’avère nécessaire, à l’image de ce qui est prévu dans les sauvegardes accélérées. Une deuxième procédure dite de restructuration judiciaire permet le redressement de l’entreprise qui n’est pas encore insolvable, procédure proche dans l’esprit, de la procédure française de sauvegarde tout en mettant en œuvre des règles prévues par le droit allemand qui permet l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité lorsque l’insolvabilité menace une entreprise.

Cette procédure entraîne une suspension qui pourrait être écartée en faveur de certains créanciers et qui serait limitée dans le temps suivant les orientations de la Directive européenne du 20 juin 2019. Une réglementation détaillée est également préconisée pour les contrats en cours. Non seulement l’ouverture de la procédure ne doit pas pouvoir avoir pour effet de les résilier, mais de surcroît, ils doivent pouvoir être résiliés par le praticien de l’insolvabilité.

Classiquement, une procédure de redressement judiciaire est également envisagée. Les plans de restructuration et de redressement sont intégrés de façon détaillée en s’inspirant des droits nationaux ainsi que de la Directive européenne du 20 juin 2019. Il est donc proposé le recours à la constitution de classes de créanciers, en s’inspirant du droit allemand ou du droit britannique qui connaissent ces dispositifs. Toutefois, les auteurs de l’avant-projet ont opté pour l’adoption d’un plan de redressement, sans vote des créanciers pour les « petites » entreprises. Le recours à ce dispositif même s’il n’y a qu’une seule classe est en effet apparu inadapté dans des petites entreprises en raison du faible nombre de créanciers notamment qui pourrait aboutir à laisser un pouvoir de vie et de mort sur une entreprise, à un créancier, indépendamment de sa viabilité.

Enfin, une liquidation judiciaire permet la réalisation des actifs et favorise le rebond. Les créances sont classées selon un ordre assez classique dans les procédures collectives tout en laissant des options concernant les créances hypothécaires et les créances privilégiées afin de permettre à chaque État de prendre en compte son droit des sûretés. Pour accélérer le déroulement de cette procédure, il est proposé de ne procéder qu’à la vérification des créances susceptibles d’être payées. Pour le reste, une attention particulière a été portée aux critères d’ouverture, pour tenter d’adopter des critères communs, point comme on s’en doute essentiel dans une recherche d’harmonisation. Le critère proposé est celui de l’incapacité de régler les dettes échues, proche de la « cessation des paiements » et de l’« insolvabilité », sans exclure pour autant le recours à un ou des critères subsidiaires tels que le surendettement, basé sur une différence comptable négative au bilan, ou l’ébranlement du crédit dans le but de faciliter l’adoption d’un texte par consensus.

L’avant-projet prévoit également la possibilité de recourir à de mesures provisoires avant l’ouverture d’une procédure en se fondant sur l’expérience allemande de l’administrateur de l’insolvabilité nommé à titre provisoire.

Enfin, quelques règles intéressent les responsabilités des dirigeants sociaux, notamment l’obligation de prendre des mesures de nature à prévenir l’insolvabilité de l’entreprise tandis que l’organisation, le statut, les modes de désignation, les attributions, la rémunération et la responsabilité du praticien de l’insolvabilité restent déterminés par le droit national. En conclusion, les auteurs de l’avant-projet ont souhaité proposer avec pragmatisme un texte susceptible d’être adopté par tous les États membres, notamment grâce aux options laissées à la discrétion de ces derniers. Consultable sur le site de l’Association Henri Capitant, il dégage de grands principes d’un possible droit européen de l’insolvabilité que des textes complémentaires pourront adapter aux droits nationaux. Simple offre de loi européenne, il est naturellement amendable : nul ne doute que les administrateurs et mandataires judiciaires sauront proposer des pistes d’amélioration !

Par Philippe Roussel Galle, Professeur à l’Université de Paris, Co-directeur du groupe de travail « Droit de l’insolvabilité » de l’Association Henri Capitant.