Monsieur le Député, vous présidez depuis deux mois une mission de l’Assemblée nationale sur les entreprises en difficulté du fait de la crise sanitaire : quels sont, à ce stade, les premiers enseignements de votre mission ?
En préambule, je tiens à souligner que cette mission est une mission commune qui regroupe la commission des affaires économiques, la commission des finances et la commission des lois. Elle est constituée de 23 parlementaires issus de tous les groupes. Il s’agit d’une mission structurée et importante en nombre. Il est important de le noter car cela symbolise la prise de conscience des Députés sur les conséquences de la crise sanitaire sur nombre d’entreprises et, plus largement, sur notre économie.
À ce jour, nous avons déjà auditionné plus de cent per- sonnes. De ces premières auditions, commence à se dessiner un état des lieux de la situation actuelle des entreprises et du tissu économique de nos territoires.
Tous les acteurs économiques sont mobilisés et inventifs afin de trouver des solutions pour accompagner, aider, les entreprises à faire face à cette crise sans précédent. Ils remontent également que l’État et le Gouvernement ont su répondre rapidement au plus grand nombre de demandes et qu’ils ont su s’adapter pour traiter celles qui sortaient des dispositifs.
Toutefois, les craintes quant à l’avenir sont grandes et notamment pour faire face à des dettes importantes et qui se sont accrues pendant la crise.
Comment avez-vous perçu l’action du Conseil national et des administrateurs judiciaires et mandataires pendant la crise, qui se sont portés volontaire au service des chefs d’entreprises par le biais de deux opérations N°Vert ?
Les administrateurs judiciaires sont des acteurs essentiels en cette période de crise. Tout d’abord parce qu’ils connaissent parfaitement le terrain et l’environnement économique des entreprises en difficulté. Leur réactivité et leurs compétences permettent d’accompagner au mieux les entreprises et les autres acteurs économiques. Cette crise aura permis de mettre en avant leur rôle et leur mission, et de les sortir de cette image d’Épinal qu’ils ne sont là que lorsque l’entreprise va disparaître. Les élus de terrain que nous sommes tous, constatons égale- ment dans nos départements que, en particulier pour les petites entreprises, les administrateurs judiciaires sont des éléments essentiels pour l’avenir de l’entreprise, souvent dans la mesure où ils permettent de cadrer les sujets les plus difficiles. Ce constat est paradoxal alors même que ce sont souvent des entreprises qui peuvent se situer sous les seuils pour lesquels la désignation par le Tribunal d’un administrateur n’est pas obligatoire. S’agissant des mandataires, les compétences qui sont les leurs, notamment lorsqu’il y a PSE, sont essentielles. Elles vont se retrouver renforcées à mon sens par la Directive du 20 juin 2019. Plus largement, les administrateurs et les mandataires judiciaires jouent le rôle fondamental de tiers de confiance dans des moments où restaurer la confiance est le sujet essentiel pour redresser une entreprise.
Nous devons convaincre qu’aller devant le Tribunal de commerce pour une procédure collective et encore plus pour une procédure amiable, ne ressort pas des soins palliatifs mais plutôt des soins tout court. Et donc l’idée c’est d’aboutir à une guérison. Pour cela, les AJ et les MJ sont des acteurs de conviction majeurs. Nous avons besoin de votre capacité de conviction. Dans ce contexte, le Conseil national joue un rôle essentiel permettant souvent de valoriser et d’organiser le travail des AJ et des MJ. C’est une tâche importante : si nous voulons convaincre les entreprises de se soigner en allant au Tribunal le plus tôt possible, les AJ et les MJ sont des acteurs clés. Pour cela, le Conseil national grâce à la communication collective et positive qu’il a, est une cheville ouvrière essentielle.
Dans ce contexte compliqué, quel rôle peuvent et/ ou doivent jouer, selon vous, les administrateurs judiciaires et les mandataires judiciaires ?
Il s’agit bien sûr de continuer à bien faire son travail pour chacun des professionnels de ces secteurs. Le rôle des AJ et des MJ s’apparente à des “postes de combats” où professionnalisme et éthique doivent continuer à se conjuguer à très haut niveau. Par ailleurs, nous avons tous, et les AJ et MJ en tout premier lieu, un impératif besoin de développer les procédures amiables. Nous le savons tous, le nombre d’entreprises qui se tirent du mauvais pas dans lequel elles sont, est supérieur quand des procédures amiables sont déclenchées plutôt que d’attendre que se déclenche la procédure collective.
Les AJ et MJ sont souvent les interlocuteurs des Tribunaux de commerce qui ont confiance en eux et ils connaissent parfaitement les entreprises en crise et leur gestion. Ils sont de surcroît rompus à la négociation avec les créanciers. Ils sont donc des acteurs idoines de ces procédures amiables.
Dans le contexte de crise, certains pronostiqueurs imprudents prévoyaient une vague de faillites, un tsunami de procédures collectives. On voit qu’il n’en est rien, grâce à la grande efficacité des mesures de soutien à l’économie prises par le Gouvernement et, qu’au contraire, la diminution du nombre de défaillances a été extrêmement importante en 2020 (-40%) : quel est votre sentiment sur l’ampleur de la crise économique à venir qu’on nous annonce de toutes parts et quelles sont vos hypothèses de travail en la matière pour 2021 ?
Certes, vous avez raison, ni tsunami, ni vague de faillite n’est arrivé et n’a englouti notre économie comme les Cas- sandre le prévoyaient il y a quelques mois. Nous pouvons nous en féliciter. Nous le devons largement aux dispositifs mis en place par le Gouvernement que ce soit notamment les PGE ou l’activité partielle. Le Gouvernement et l’État, je le disais en préambule, ont été au rendez-vous. En revanche, se posent aujourd’hui deux questions : d’une part, comment allons nous sortir de cette crise : rythme de réduction des aides publiques, retour au travail pour certains salariés, sort du télétravail… ; par ailleurs, comment, à long terme, allons-nous faire face à l’accumulation de dettes qui a été accélérée en quelques mois et qui a financé du fonctionnement ?
À ces interrogations, s’ajoutent le fait que certains secteurs, comme l’aéronautique, l’automobile, le tourisme, la restauration ou l’événementiel ont été particulièrement touchés. Nous allons voir comment tout cela va se cicatriser. Ce qui est malgré tout certain c’est que cette crise est une crise exogène et qu’elle a laissé intact l’outil de production. Je pense donc que la reprise peut se dérouler très vite si la confiance est restaurée sur l’avenir. Un des facteurs clés de cette reprise tient à la mobilisation de l’épargne des ménages qui n’a eu de cesse d’augmenter depuis plus d’un an. De tout cela, nous pouvons en ressortir que le pire n’est pas sûr : il se peut que l’économie redécolle plus vite qu’attendu. L’expérience américaine est à ce titre très intéressante. En revanche, ce qui est certain, c’est qu’il nous faut préparer le pire pour pouvoir y faire face s’il devait survenir. C’est pourquoi je plaide depuis plusieurs mois pour une adaptation du droit des entreprises en difficulté, le rendant plus efficace et donc nous rendant capable de sauver les entreprises qui doivent l’être.