“Les crises accélèrent les changements plus qu’elles ne les créent de toutes pièces : l’actuelle crise sanitaire n’échappe pas à cette loi de l’histoire. Au Congrès annuel du CNAJMJ de La Colle sur Loup, le 7 octobre dernier, Nicolas Baverez rappelait que l’épidémie de peste noire qui débuta en 1347 prépara la voie à la Renaissance. De sorte que les grandes épidémies illustrent ainsi non sans cruauté le fascinant processus Schumpetérien de destruction créatrice.“
Or, si les vagues successives de l’actuelle pandémie de Covid 19 n’ont fort heureusement pas la gravité d’une peste qui emporta plus d’un tiers de la population européenne en 5 ans, cette loi historique de l’accélération du changement n’en trouve pas moins à s’appliquer.
Certaines évolutions n’auront échappé à personne.
C’est le cas d’une digitalisation tous azimuts des rela- tions humaines dont la pandémie a favorisé l’avènement. Quoique rien ne remplace la chaleur du « présentiel », le recours au télétravail, l’accès de tous à la visioconférence et les services en ligne ont permis à la société de « tenir » et aux étudiants de ne pas interrompre brutalement tout apprentissage : même aux heures les plus dures du confi- nement, l’internet a offert un refuge numérique inestimable sans lequel commerce, travail, éducation et vie publique se seraient brutalement arrêtés. Et la connexion internet de devenir à cette occasion l’incarnation même du lien social. Mais avec le risque que l’être humain ne soit promptement aspiré puis retenu par l’univers virtuel en 3D du Metaverse…
Si la digitalisation est sur toutes les lèvres, la pandémie a précipité d’autres changements, plus discrets : ainsi de l’emprise croissante des ordonnances sur notre législation que l’urgence à agir rend toujours plus incontournables.
Les réformes du droit des sûretés (n°2021-1192) et de modification du Livre VI du code de commerce (n°2021- 1193) en sont une illustration de plus : deux textes datés du 15 septembre 2021, le premier achevant la digitalisation du droit des garanties et le second ressuscitant la lutte des classes de créanciers ; deux ordonnances qui s’ajoutent à la ribambelle d’ordonnances déjà prises
ces deux dernières années et tendant à l’adaptation du droit des procédures collectives aux conséquences de l’épidémie de Covid 19 : n° 2020-341 du 27 mars 2020, n°2020-596 du 20 mai 2020, n° 2020-596 du 20 mai 2020, n° 2020-1443 du 25 novembre 2020…
Initié au milieu des années 2000, ce déplacement du centre de gravité de la fabrique de la loi du Parlement vers le gouvernement est un marqueur du droit contemporain.
Réputée plus sûre que la voie parlementaire lorsque la matière est technique, celle des ordonnances gagne inexorablement du terrain. Or, précédées de consultations ou parfois préfigurées par des commissions, les ordonnances sont souvent de fort belle facture. Quant au Rapport au Président de la République accompagnant toute ordonnance, il tend à combler le vide de l’absence de travaux préparatoires relativement à l’intention du législateur.
Sans doute le recours aux ordonnances se justifie-t-il tout particulièrement lorsqu’il convient de transposer le droit de l’Union européenne et que le législateur français n’a pas les coudées franches : tel fut (pour partie seulement) le cas avec la directive dite « restructuration et insolvabilité » du 20 juin 2019, transposée par l’ordonnance n°1193.
Mais leur empire est loin de se limiter à acter de la primauté du droit de l’Union européenne : le droit des contrats n’a-t-il pas lui-même été réformé par ordonnance en date 10 février 2016 ? Cette partie pourtant si noble du Code civil à laquelle on ne devrait pourtant toucher que d’une main tremblante.
Un exemple permettra de se convaincre de l’accélération de l’évolution : l’Assemblée nationale avait refusé, lors du vote de la loi du 26 juillet 2005, d’habiliter le gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance en matière de cautionnement. La protection dévolue aux cautions avait, à l’époque, été tenue pour une question trop politique pour être discutée autrement que par la voie parlementaire.
“Quinze après, nos Républiques des ordonnances tolèrent aujourd’hui ce qui paraissait hier impensable. La sphère du « politique » se serait-elle contractée ?” Avec le risque d’un délitement du pouvoir parlementaire, lequel ne semble vouloir conserver par devers lui que les questions dites « de société » (bioéthique, climat, famille, numérique, etc.) et propices aux « Tweets »…
Il y a urgence à réfléchir à cette évolution au plus haut niveau des deux chambres, à peine d’abîmer la démocratie : les Assemblées ne sauraient signer des chèques normatifs en blanc. N’auraient-elles pas tout intérêt – comme cela a pu être proposé par un esprit éclairé en marge de ce Congrès annuel – à faire de la loi d’habilitation du gouvernement suivant une feuille de route détaillée un temps dorénavant fort de politique législative ? En ces temps d’élection, la discussion devra en toute hypothèse être ouverte